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Culture! Histoire du Wargame et de la Figurine

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Culture! Histoire du Wargame et de la Figurine  Empty Culture! Histoire du Wargame et de la Figurine

Message par Don fredo Ven 13 Sep 2019 - 11:32

Très instructif , j'ai fait une compilation de plusieurs articles de Antoine Bourguilleau

Au commencement était le Kriegsspiel

Le wargame se décline sous de nombreuses formes: console ou ordinateur, jeu de plateau ou jeu avec figurines, historique, futuriste ou héroic-fantasy. Mais ce qui est aujourd’hui un loisir est issu d’un instrument conçu pour former les officiers d’état-major à la conduite des armées.
Si l’on crédite le baron allemand von Reisswitz de l’invention du wargame moderne, qu’il baptisait du nom de Kriegsspiel («Jeu de la guerre»), il ne faudrait pas oublier que d’autres jeux, plus anciens avaient pour objet de reproduire la guerre de manière plus réaliste, dirons-nous, que les échecs ou les dames (jeux dans lesquels les participants partent à égalité de forces, où le terrain est parfaitement plat et où l’on peut combattre jusqu’au dernier, autant de choses que l’on voit rarement sur un champ de bataille).

Le Mahâbhârata rapporte que, 200 ans avant Jésus-Christ, des souverains indiens avaient eu l’idée de faire manœuvrer, durant plus de deux semaines, des troupes, se livrant une fausse bataille, afin d’examiner les combinaisons les plus valides et les formations les plus efficaces. Il s’agit d’une des plus anciennes sources documentées sur un sujet qui n’a cessé de tarauder les généraux: la simulation de conflit comme outil de leur préparation.

Sous Charles-Quint, en Espagne, mais aussi au XVIIe siècle, en Angleterre, des penseurs ou mathématiciens proposent à leurs souverains des jeux de guerre rudimentaires. Mais on peine à sortir du cadre habituel: cases, mouvement imposé et aucune place au hasard.

Simuler la guerre dans une Prusse humiliée

Malgré quelques tentatives confidentielles, à la fin du XVIIIe siècle, qui démontrent que l’idée est déjà dans l’air -produit, sans aucun doute des Lumières- c’est en 1811 que le baron von Reisswitz présente son «Kriegsspiel» à un prince prussien, proche du roi Frédéric-Guillaume III.

La situation de la Prusse explique sans doute la naissance de cet ancêtre du wargame en ce lieu et à ce moment précis de l’histoire.

Vaincue et humiliée en 1806 à Iéna, la Prusse est une alliée contrainte de la France. Son roi, Frédéric-Guillaume III, est un homme de peu de caractère. Mais dans l’entourage de la reine Louise, beaucoup d’officiers, tels Scharnhorst, Gneisenau, Blücher, mais aussi Clausewitz, entendent préparer la revanche qui s’incarnera bientôt dans la campagne d’Allemagne de 1813 et provoquera, au final, la première abdication de Napoléon un an plus tard.
Mais avant cette date, l’armée prussienne est embryonnaire, limitée dans ses effectifs par un traité de paix que l’on pourrait décrire comme le diktat de Versailles du XIXe siècle. Avec les mêmes effets: partout en Allemagne, dans les cercles militaires comme ailleurs, on cherche les moyens de contourner les interdits et de se préparer à la revanche. C’est dans ce contexte que naît le Kriegsspiel.
L’invention de Reisswitz

Le jeu se présente sous la forme d’une table ornée d’un décor modulaire, figuré à une échelle de 1:8000e (la première version utilisait une échelle au 1:2373e). Le jeu consiste à déplacer sur la table, où le relief est figuré par du sable, de petits blocs de couleur représentant les troupes. Ces troupes se meuvent naturellement à des vitesses variables en fonction de leur type (la cavalerie se déplace plus vite que l’infanterie, par exemple) et combattent de manière différente (au feu ou au corps à corps).

Le terrain joue un rôle: il peut gêner les mouvements (bois, rivières) ou le faciliter (ponts, routes), mais également influer sur le résultat des combats (mauvaise idée pour la cavalerie de charger de l’infanterie dans une forêt!). Le moral des troupes est également pris en compte: on ne meurt pas jusqu’au dernier sur une table de Kriegsspiel, comme dans la vraie vie, n’en déplaise aux amateurs de gloriole militaire.

Afin de maintenir un certain suspens et de placer les généraux des deux camps dans une situation similaire à celle de leurs homologues de terrain, la présence d’un arbitre est requise. Les généraux peuvent ainsi ne pas être informés en temps et en heure des développements de tel ou tel combat.

Surtout, le hasard est introduit, afin de simuler le chaos résumé par cette vieille maxime militaire qui veut qu’aucun plan ne survive plus de cinq minutes au contact de l’ennemi. On peut ainsi simuler des erreurs de transmission dans les messages, des problèmes inattendus rencontrés lors d’un combat qui semblait pourtant très favorable, et ainsi de suite.

Les princes protecteurs de Reisswitz introduisent ce jeu auprès du roi. Ce dernier, plus enclin à faire une guerre imaginaire à Napoléon qu’à se lancer dans une guerre réelle, le trouve excellent. Mais ses conseillers militaires demeurent dubitatifs face à ce qu’ils tiennent pour une aimable distraction. Le système est trop novateur pour ces hommes, hobereaux prussiens à l’esprit étriqué et conservateur.

«Ce n’est pas un jeu!»

Il faut attendre 1824 et que le fils de von Reisswitz reprenne le flambeau en développant le jeu élaboré par son père pour que les choses changent. Les nouvelles règles, rédigées par le fils Reisswitz, lui-même officier, sont présentées au chef de l’état-major royal prussien, le général von Muffling. Une partie de kriegsspiel est organisée dans les locaux de l’état-major, en présence de l’auteur.

Les vieux officiers se montrent, pour commencer, très dubitatifs. N’ayant pas connaissance des règles, ils se contentent de donner des ordres, comme ils en ont l’habitude, à de jeunes officiers (connaissant la règle) qui les exécutent, sous la supervision d’un arbitre. Au bout de quelques minutes, von Muffling, sans doute le plus dubitatif de tous, s’exclame, abasourdi:

«Mais ce n’est pas un jeu! C’est de l’entraînement à la guerre! Je vais recommander son utilisation par l’armée.»

Un outil d’état-major

Il ne faut que quelques mois pour que chaque régiment soit doté de son exemplaire du jeu. Le jeune Reisswitz n’aura guère le temps de profiter de sa gloire nouvelle. Accablé par les critiques qui continuent de pleuvoir sur son système, il se donne la mort en 1827.

L’année suivante, le lieutenant Moltke fonde le premier club de wargame de l’histoire, le Kriegspieler Verein. Devenu chef de l’état-major royal en 1837, il continue de promouvoir le wargame comme outil. Une version, sortie en 1862, va servir à préparer la guerre contre l’Autriche en 1866 et celle contre la France en 1870.
Le kriegsspiel n’ayant rien de secret, les états-majors des grandes nations commencent à s’y intéresser. La France, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis développent leurs propres systèmes, utilisés au sein de longues sessions d’état-major. Mais il est alors et demeure ce que von Muffling avait décrit en 1828: un entraînement à la guerre et pas un jeu. Pour qu’il devienne ludique, il va falloir attendre l’entrée en scène d’un auteur aussi fantasque que pacifique: H.G. Wells.

Et le Kriegsspiel devint un jeu

Développé depuis le début du XIXe siècle comme outil d’état-major, le Kriegsspiel, qui perd petit à petit un «s» se transforme, au début du XXe siècle en un loisir de salon… ou de plein air.

C’est un an avant le début de la Grande Guerre que H G. Wells publie un étonnant recueil, Little Wars. Herbert George Wells n’est alors plus un tout jeune homme. Né en 1866, il a déjà publié de nombreux ouvrages de science-fiction dont le plus célèbre, La Guerre des Mondes, est sorti en 1898.

Wells fait partie de ces messieurs qui ne se décident pas à grandir. Depuis son enfance, il collectionne les soldats de plomb et n’a pas cessé de le faire. Il n’est pas le seul: Robert Louis Stevenson tout comme Jérôme K. Jérôme, auteur de Trois hommes dans un bateau, sans nul doute le J. K. J. mentionné dans Little Wars comme compagnon de jeu de Wells, font à cette même époque partie des fanatiques du jeu de guerre avec des figurines.

Dès l’introduction, H. G. Wells annonce la coloration contestataire, sociale et humoristique de cette activité:

«Petites Guerres est le jeu des rois – à la disposition des joueurs des positions sociales inférieures. Ce jeu peut être pratiqué par des garçons de tout âge, de 12 à 150 ans – et même plus âgés si leurs membres inférieurs conservé leur souplesse,- par les plus brillantes des petites filles et par quelques femmes rares et précieuses.»

Des règles très simples

L’ouvrage évoque ensuite les tâtonnements divers de Wells et de ses amis pour établir un système de règles efficace et réaliste. Les règles, à proprement parler, ne font qu’une vingtaine de pages et découlent pour partie d’un ouvrage précédent, Floor Games, paru en 1911
Leur système est des plus simples. Après qu’un terrain ait été disposé sur le sol -à l’aide de livres figurant des collines, au départ, puis avec des planches de cartons empilées, de petits arbres miniatures et des maisons en carton, des ponts ou des redoutes construites par les joueurs- les joueurs déploient leurs armées de soldats de plomb et le combat s’engage. L’infanterie peut se déplacer d’un pied (30cm), la cavalerie du double. Les tirs sont réglés à l’aide de petits canons à ressort. Les figurines renversées comptent comme des pertes. Pour le corps à corps, c’est la mathématique qui prime: le plus nombreux l’emporte, mais la résistance des vaincus prend en compte leur éventuelle isolement (trop loin d’autres troupes amies) pour déterminer les pertes qu’ils infligent aux défenseurs.

La question des prisonniers est prise en compte (au départ, la règle ne les prévoit pas – on ne fait pas de prisonniers!) et le moral également, par le biais d’un système ingénieux: chaque perte infligée à l’ennemi, chaque objectif tenu, vaut un certain nombre de points. Lorsque l’écart de points entre les joueurs dépasse un certain seul fixé, celui disposant du total inférieur est déclaré vaincu.

Un jeu pacifiste

Pacifiste, progressiste, proche des socialistes (on découvrira après la seconde guerre mondiale qu’il figurait en bonne place sur une liste établie par la SS de personnalités britanniques à interner en cas d’invasion de l’Angleterre), H.G. Wells prévient: son jeu a un but tout à fait opposé à celui du Kriegsspiel.

Il n’est pas de fournir à de futurs généraux des outils pour conduire la guerre mais bel et bien d’insuffler, par le jeu, auprès d’une population très belliqueuse, l’idée que la guerre est une chose abominable:

«Puis-je un moment me permettre de le claironner et dire ô combien cette aimable reproduction est bien meilleure que la chose qu’elle simule? … Voici la guerre ramenée à des proportions raisonnables… Il suffit de jouer quatre fois à Petites Guerres pour comprendre à quel point une Grande Guerre serait une chose abominable.»

Ce mot de Grande guerre imprimé un an avant la gigantesque boucherie de 1914-1918 semble prémonitoire.

H.G. Wells ne publiera pas d’autres règles de jeu. Il continuera de s’adonner à ce loisir bien après la publication de Little Wars, qui permet effectivement la diffusion du wargame au début du XXe siècle. Les canons à ressort et les figurines en métal sont alors à la portée de toutes les bourses. On ne peut donc que s’accorder à dire que si Reisswitz est le père du Kriegsspiel, H.G. Wells est sans nul doute le père du wargame.

Un précédent, en 1906

Pourtant, dès 1906, un passionné de navires de guerre avait lui aussi publié une règle: Naval Wargaming, œuvre de Fred Jane, bien connu des spécialistes de la guerre navale (il est le créateur de l’annuaire dit Jane’s qui détaille les caractéristiques techniques des navires).
Mais cette règle, qui sera révisée par des officiers de la Royal Navy au début des années 1920, demeure très confidentielle et n’a pas la même portée dans le grand public.

Dans les années 1920, la saignée de la Grande guerre tend naturellement à détourner de nombreux adultes de ce genre de jeu. Dans une Europe où des millions de jeunes gens y sont morts, rares sont ceux qui ont encore le cœur à «jouer à la guerre», même si les enfants eux, continuent.

Si des règles de jeu continuent d’être produites, elles le sont de manière très confidentielle.

Il faut donc attendre les années 1930 pour que de nouvelles règles soient publiées. Il s’agit de règles de wargame naval, œuvre, une fois encore, d’un auteur de science fiction, américain cette fois: Fletcher Pratt.

Le Fletcher Pratt’s Naval Wargame est un jeu très scientifique. Les mouvements et les tirs des navires sont résolus par le biais de calculs mathématiques très complexes et d’engins spécialement conçus pour simuler les tirs. Le jeu est critiqué par de nombreux militaires et des spécialistes, qui lui reprochent de trop grandes abstractions. Malgré cela, Pratt obtient une petite renommée quand on apprend qu’il a pu, grâce à sa règle, simuler l’engagement du Rio de la Plata avec un résultat identique à celui de la bataille réelle.

Au tournant des années 1940, le wargame, tout en demeurant une activité ludique et à destination du public non spécialiste, tente donc de se rapprocher de la simulation proche du Kriegspiel. Le mélange va devenir effectif dans les années 1950, avec la création des premières sociétés de jeu éditant des wargames en boîte.

Le wargame plus fort qu'Internet

Richard S. Roberts et la création d’Avalon Hill ont permis au jeu de plateau de se développer après guerre, de survivre aux modes, et de rester vivant après l’arrivée de MMORPG.

C’est en 1952 que Charles S. Roberts, alors âgé de 22 ans, créé son premier jeu, Tactics. Dans sa forme, le jeu n’a pas grand chose de révolutionnaire, avec son plateau à cases carrées et sa thématique généraliste. Il l’est pourtant à plus d’un titre.Chaque joueur dispose de pions représentant des troupes blindées, d’infanterie, parachutistes ou amphibies. Chaque type de troupe, nouvelle innovation, dispose de valeur de mouvement (en cases) et de combat différentes. On utilise, pour régler les combat, une table de résolution: en haut, les ratios de combat présentés sous la forme d’une équation Attaquant/défenseur (ex 1:4, 1:1 ou 3:1). Plus le ratio est favorable, plus les chances sont fortes d’infliger des dégâts à l’adversaire ou de le contraindre à reculer. Le résultat final est décidé par le lancer d’un dé. Le plateau n’est, enfin, pas uniforme. Certaines cases de terrain influent sur le mouvement (les forêts le ralentissent, les routes l’accélèrent) et sur les combats.

En 1954, Roberts parvient à éditer Tactics à son compte. Il produit 2.000 boîtes, qu’il vend par correspondance depuis son garage, dans le Maryland, créant The Avalon Game Company.

La révolution du wargame est en marche

En 1958, sa firme, rebaptisée Avalon Hill, sort Tactics II, une version légèrement améliorée de son premier jeu, ainsi qu’une flopée d’autres.

Charles S. Roberts vient de réussir un tour de force: réunir le kriegspiel et le wargame dans un produit pouvant être vendu commercialement et ne nécessitant, de la part du consommateur, aucune dépense supplémentaire – le jeu de H.G. Wells nécessitait l’achat de figurines, de décors, etc.

C’est en 1958 aussi que Roberts publie Gettysburg. Le plateau utilise encore des cases carrées, mais le terrain représenté n’est plus schématique et ressemble à celui de la célèbre bataille de la guerre de sécession.

Dès les jeux suivants, dont Chancellorsville et D-Day, Avalon Hill franchit un cap décisif avec l’introduction d’une grille de mouvement hexagonale. L’hexagone est en effet très supérieur aux cases: il ne crée pas de décalage dans le mouvement (sur une grille carrée, un mouvement en diagonale équivaut à deux mouvements orthogonaux).

Roberts et son équipe de créateurs introduisent peu à peu des concepts encore utilisés dans les wargames sur ordinateur, comme l’empilement de plusieurs unités dans une même case ou les zones de contrôle (cases entourant un pion et sur lesquelles il exerce une influence, pouvant ainsi interrompre le mouvement de l’ennemi).

Les florissantes années 1960-1970

À partir de 1962, la force de frappe commerciale d’Avalon Hill augmente: Roberts, qui s’est beaucoup endetté, a cédé une partie de ses parts à la société Monarch, déjà éditrice de jeux et qui investit dans le secteur. Les années 1960 voient Avalon Hill continuer de produire des jeux de simulation, tandis que Roberts se désengage progressivement.

En 1970, Avalon Hill franchit un nouveau cap avec la sortie de Panzerblitz, qui utilise des cartes isomorphiques: ne représentant pas un terrain ou une bataille précise, elles peuvent être assemblées dans n’importe quel ordre. On peut donc créer une grande variété de terrains en fonction de la manière dont elles sont assemblées.

Jim Dunnigan, auteur de Panzerblitz a fondé, en 1969, Simulation Publications Inc. (SPI) qui devient le principal concurrent d’Avalon Hill. Les années 1970 et 1980 voient d’autres sociétés arriver sur le marché, avec des jeux souvent de plus en plus complexes et énormes (les «mammoth games»). Par ailleurs, Avalon Hill déroge au cadre purement militaire: simulations sportives et jeux heroic-fantasy sortent d’autant plus régulièrement qu’ils se vendent mieux.

Cette période est également celle de l’émergence de jeux plus tactiques. Le plus célèbre, Squad Leader, publié par Avalon Hill (1976) et qui sera bientôt remplacé en 1985 par Advanced Squad Leader (ASL), permet de jouer à une échelle réduite: une unité d’infanterie correspond à une section (squad) de 6 à 8 hommes, un pion de véhicule représente… un véhicule. Des jeux comme Close Assault de Yaquinto ou Ambush de Victory Games, sortis en 1983, ont pour unité de base un seul homme, avec des caractéristiques propres.

Le jeu de rôle, enfant du wargame

C’est qu’entre temps, le jeu de rôle, enfant du wargame, a fait son apparition et devient un véritable phénomène de société. C’est au début des années 1970 que deux wargamers, Gary Gygax et Dave Arneson, posent les bases d’un futur best seller: Donjons&Dragons. Au départ se trouve Chainmail, un jeu de guerre ultra-tactique, dans lequel des joueurs incarnent leur propre personnage dans des batailles. Mais rapidement, ces enchaînements de combats lassent les joueurs et l’on finit par sortir du cadre purement militaire pour se tourner vers un univers heroic-fantasy. Le maître de jeu apparaît et le jeu de rôle peut prendre son essor.
pendant des années, wargames et jeux de rôles cohabitent dans de nombreuses conventions de jeux, chez de nombreux éditeurs, même, et dans beaucoup de magazines (dont le vénérable Casus Belli français, qui ressort ces jours ci), la rupture s’effectue vers la fin des années 1980.

C’est que les ordinateurs ont commencé à envahir les foyers. On peut déjà jouer à des wargames relativement élaborés, contre l’intelligence artificielle. Mais les jeux de rôle, quant à eux, ont des interfaces très limitées. Rien ne vaut donc la table du salon et la bande de copains. Signe des temps: autrefois vendu dans des boîtes, comme le wargame, le jeu de rôle se vend désormais sous la forme de livres (ce qui l’assujettit à une TVA inférieure).

Le wargame en boîte ne cesse dès lors de décliner. Ses tables de résolution, même complexes, ne peuvent rivaliser avec des jeux de plus en plus sophistiqués gérés par des ordinateurs de plus en plus puissants. Presque toutes les maisons d’édition font faillite et Hasbro rachète Avalon Hill en 1998.

Le jeu de rôle est relativement épargné par cette dégringolade, jusqu’à l’arrivée de l’Internet haut-débit et des MMORPG, qui vont également reléguer un temps les paravents des MJ et les dés à dix faces au rayon des oubliettes.

Mais c’est oublier que ce hobby a plus d’un tour dans son sac. Alors qu’on le donne pour mort, il va renaître de ses cendres au milieu des années 2000.

Le wargame comme outil de compréhension des conflits

Les First Person Shooters, de plus en plus réalistes, et des jeux de stratégie sur écran semblaient devoir reléguer le wargame de H.G. Wells aux oubliettes. Pourtant, il va bien, merci.

On constate tout d’abord que la vague des jeux vidéos, qui a menacé d’engloutir les jeux de plateau classique, semble, paradoxalement, leur avoir fait le plus grand bien. Partout, les magasins de jeux fleurissent, les anciens résistent, et l’offre se diversifie.

Dans le domaine du wargame, plus confidentiel, il est vrai, les transformations sont elles aussi notables. Quelques éditeurs font une résistance plus qu’active, tels GMT, avec sa récente et très réussie collection des Command&Colors, qui permet à un parfait novice de recréer des batailles antiques ou napoléoniennes (une version française existe, sur la Deuxième Guerre mondiale) ou Avalanche Press, éditeur très prolifique de jeux qui, malgré leur simplicité évidente, sont d’une très grande finesse de simulation. Le sujet a également été évoqué sur Slate dans un article consacré à la possible guerre entre Israël et l’Iran.

Mais le wargame avec figurines a lui aussi fait sa mue. Les règles de jeu, autrefois publiées à compte d’auteur, d’une présentation aride, et d’une grande complexité se sont aérées, simplifiées et à présent agrémentées de nombreuses photos et exemples en couleur. Le jeu Force on Force semble constituer un bon élément de comparaison avec des FPS actuels, notamment pour la modélisation des conflits contemporains.

Ce jeu démontre qu’il est possible d’obtenir des sensations et un rendu au moins aussi impressionnant, si ce n’est plus, que des jeux vidéo traitant du même sujet. Enfilez votre veste pare-éclat ou empoignez votre AK-47: ça va barder.

H. G. Wells et la Chute du Faucon Noir réunis

Force on Force est un jeu avec figurines. Il se pratique sur un espace réduit, la plupart des scénarios pouvant être joués sur un plateau de 60cm sur 60cm. Le coût des figurines, de 15mm, en plomb (ci-dessous) est minime et peut-être rendu plus minime encore par l’emploi de figurines en plastique par surcroit très faciles à trouver. Les décors, fabriqués à la main, sont également d’un coût ridicule. (Bien sûr, il faut faire preuve de quelques talents de modélisme – et pour les manchots, on peut acheter des décors dans le commerce).
Son système est assez simple: les tirs, combats, tests de moral sont tous déterminés par des jets de dés. La règle universelle est que tout score égal ou supérieur à 4 est une réussite. Pour représenter les différences d’entraînement et de moral, les figurines peuvent, en fonction de leur qualité, utiliser des dés à 6 faces, à 8 faces, à 10 faces ou à 12 faces.

On l’aura compris: il est plus facile d’obtenir un score égal ou supérieur à 4 en lançant un dé à 10 faces qu’en lançant un dé à 6 faces. Pour combattre, des rangers américains utiliseront donc plutôt des dés à 10 faces, les miliciens mal formés des dés à 6 faces.

Là où Force on Force excelle, c’est dans sa capacité, avec des règles simples, à rendre compte de la réalité du combat contemporain. La question des pertes se pose ainsi avec une grande acuité: un homme touché c’est, pour une section d’infanterie, une sacrée tuile, quelle que soit la gravité de sa blessure: il convient de se mettre à couvert, de s’assurer de l’état du blessé, de lui prodiguer des soins éventuels ou de pourvoir à son évacuation rapide. En terme de jeu, une unité ayant subi des pertes perd effectivement un tour à s’occuper de son ou ses blessés et ne peut que répliquer au feu. Par suite, son potentiel de tir et sa vitesse de déplacement sont réduites tant que les blessés n’ont pas été évacués, ce qui peut-être parfois très délicat.
Il est naturellement possible de se comporter avec le plus parfait cynisme et d’abandonner ses blessés pour ne pas subir ces malus. Mais c’est alors le moral des survivants qui chute de manière dramatique, sans compter que la capture, par l’ennemi, de soldats blessés ou tués peut vous faire perdre la partie: on se souvient des images de ces cadavres de soldats américains traînés dans les rues de Mogadiscio en 1993.

Les civils et les médias

Les civils sont eu aussi fort bien pris en compte: leurs mouvements sont une gêne pour les combattants, car dans la majorité des scénarios, toute perte provoquée chez les civils par vos hommes risque de vous faire immédiatement perdre la partie. Les soldats de Force on Force ne sont dont pas des brutes sanguinaires qui tirent sur tout ce qui bouge. Ils doivent faire très attention à eux et à leur environnement. Leurs homologues, sur le terrain, le font-ils par humanisme ou pour éviter les retombées médiatiques désastreuses d’un carnage de civils? Peu importe: la réalité est bien là. (Et il y a fort à parier que des mercenaires de Blackwater ne s’embarrasseraient pas de ce genre de considérations.

Car un autre acteur est, par ce biais, pris en compte, que l’on ne voit jamais dans les FPS: les médias. Les conflits actuels sont abondamment couverts par les télévisions du monde entier. La présence, dans certains scénarios, d’équipes de télévision, aux côtés d’une section de marines dans les rues de Mogadiscio ou de Falloujah, peut devenir très paralysante pour le joueur américain: tuer des civils sous les yeux de cameramen de CNN ou perdre deux hommes sous les yeux d’une équipe de la Fox, voilà une «Breaking News» qui tournera en boucle sur la toile (et provoque la défaite immédiate du joueur).

La plupart des reporters de guerre le disent: la présence d’appareils photos et de caméras sur les lieux des combats a une influence directe sur ce qui se déroule, même si elle peut–être extrêmement variable (à commencer par la tentation d’évincer les médias de la scène). Force on Force en tient compte.

Et parvient ainsi à montrer ce qu’est la guerre aujourd’hui, et à quel point la technologie la plus pointue peut se trouver mise en échec par une simple kalachnikov ou un iPhone qui prend des images choc.

Et la morale?

C’est en effet dans la simulation des combats asymétriques que le jeu excelle: des miliciens mal armés peuvent surgir à tout moment d’un endroit inattendu, se mouvoir sans contrainte de distance sur la table tant qu’ils se déplacent hors de vue des soldats réguliers. Moins bien formés, moins bien armés, il leur suffit d’infliger des pertes minimes pour qu’en Occident, l’opération en cours soit qualifiée de fiasco. Et comme il s’agit d’un jeu de société, il est possible de jouer l’un ou l’autre camp, avec à chaque fois des problématiques très différentes.

Une question demeure: est-il bien moral de «jouer» avec une telle réalité? L’absence des civils dans les FPS shooters ne constituent-t-elle pas un aveu du caractère embarrassant de cette question?

Il est bien délicat de répondre. Ce qui est certain, en tous cas, c’est qu’une partie de Force on Force n’est pas, comme un FPS, une séance de défoulement. Elle permet au néophyte faisant preuve d’un peu de jugeote de comprendre toute la difficulté et dans une certaine mesure toute l’inutilité du déploiement (unique) de force brutale dans ces conflits asymétriques: il est possible de remporter la victoire sur le plan purement militaire et comptable, mais de perdre la bataille pour des questions politiques et médiatiques.

Cela, presque chacun d’entre nous le sait. Mais pouvoir le constater, dans son salon, entre amis, et sans que le sang ne coule est, à mon sens, un exercice des plus salutaires. Car une chose est certaine, et que H. G. Wells avait bien comprise: tout en nous permettant de toucher du doigt toute l’horreur et la complexité de la guerre, les soldats de plomb ne font ni veuves, ni orphelins.

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